Après la crise, l’épopée surprise au Masters 1 000 Rome : Corentin Moutet, quand le volcan s’éteint, l’être s’éveille…

Après la crise, l’épopée surprise au Masters 1 000 Rome : Corentin Moutet, quand le volcan s’éteint, l’être s’éveille…


Que ce soit cœur d’un échange endiablé ou dans la gestion de sa carrière, Corentin Moutet cultive décidément comme personne l’art du coup auquel on ne s’attend pas. Regardez-le jouer. Jamais deux balles pareilles. Quand il arme sa frappe, allez savoir s’il va tenter une amortie, une accélération plein fer, un slice vintage, une cloche improbable ou un trick shot de son invention. C’est comme la météo à Paris au printemps : ça change tout le temps, parfois radicalement et brusquement. Et c’est impossible à prévoir.

Le premier, c’était à Bercy en 2022, alors qu’il venait tout juste de se voir évincer des structures de la FFT pour un ensemble de comportement jugés “inappropriés” sur le court. Dans cette jolie résurgence parisienne lors de laquelle il avait dû en plus passer par les qualifications, on avait pu déceler une réaction d’orgueil chez ce garçon qui a toujours aimé jongler avec les coups de génie et les coups de sang, flirter avec la ligne jaune de l’admirable et de l’insupportable.

Le Moutet nouveau est arrivé, et Rune en a fait les frais

Video credit: Eurosport

A bien y réfléchir, c’est un peu pareil à Rome. Une magistrale reprise en mains tennistique au sortir d’un long tunnel de dérapages incontrôlés. Une prise de bec avec le public à Miami. Une explication musclée avec Alexander Bublik à Phoenix. Des menaces proférées par Pavel Kotov (“I will kill you !”) à Aix-en-Provence. Un abandon et une sortie sous les sifflets à Madrid. Au-delà de ses résultats en berne, “Co” n’était plus devenu, ces derniers temps, qu’une caricature de son personnage, lui-même très éloigné du joueur sublime qu’il peut être sur un court, et du jeune homme bien élevé qu’il sait être en dehors.

Mais après des semaines d’éruption presque en continu, le volcan s’est enfin apaisé. A Rome, la lave est froide et si Moutet a toujours du feu en lui, cette fois, c’est dans la raquette. Allez, il en a bien cassé une lors de son premier tour face à Rinky Hinjikata, pour la forme. Mais c’est à peu près tout. Face à Rune, lors d’un combat de gladiateurs de 3h44 joué dans une ambiance électrique, il y avait pourtant à peu près tous les ingrédients pour le faire dégoupiller. En d’autres temps, peut-être aurait-il insulté l’arbitre, provoqué un spectateur avant de se jeter dans le Tibre. Là, il est resté froid comme un concombre, ou presque. Et il a gagné.

Une partie de son équipe remerciée après Madrid

L’ordre naît du chaos, comme dirait la franc-maçonnerie. Cela pourrait coller avec le fonctionnement de Corentin Moutet qui, juste après Madrid, a remercié une partie de son équipe et notamment son co-entraîneur serbe Petar Popovic, dont il s’était déjà séparé en septembre dernier avant de recommencer à travailler avec lui en février. Pour deux mois seulement, donc. “Depuis quelques semaines, il a une énergie différente, un regard différent sur ce qui l’entoure. On a eu beaucoup de longues discussions très intéressantes et on ressent un changement”, disait il y a quelques jours à l’Equipe celui qui reste son seul coach référent, Hugo Guerriero.

Comprenne qui pourra. Il faudrait des compétences en psychologie humaine bien supérieures aux nôtres pour s’aventurer dans les méandres du cerveau “moutaisien” et en sortir indemne en ayant vu la lumière. Mais s’il semble y avoir une constante chez le gaucher parisien, c’est cette tendance à rechercher de la stabilité dans une forme d’instabilité. Petit, on ne sait comment il fabriquait ses Légos ou assemblait ses Kaplas, mais on doute que ce fût avec ordre et méthode. Plutôt en détruisant mille fois l’assemblage, sûrement d’ailleurs en les balançant à travers sa chambre, avant de trouver enfin le bon ordonnancement.

Corentin Moutet a toujours plus ou moins assumé son caractère volcanique, à défaut de le revendiquer. Plus jeune, il pouvait même littéralement devenir fou, et rendre fou tout le monde autour de lui. On peut y voir aussi du positif, l’expression au moins d’une passion, et de ces émotions indispensables à la pratique d’un art. Et puis, on en a connu d’autres, des sportifs éprouvant ce besoin viscéral de créer du conflit pour générer de la performance, dussent-ils pour cela s’inventer un contradicteur imaginaire. Mais son parcours à Rome le montre : c’est quand son bouillonnement interne s’apaise enfin qu’il peut donner libre cours au véritable joueur qu’il est. Et ce joueur-là peut être exceptionnel, vraiment.

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Lisnard : “Moutet fait du bien au tennis dans sa globalité”

Video credit: Eurosport

Evidemment, on n’invente rien en disant tout cela. Moutet est le premier à avoir conscience de ses démons intérieurs, qu’il a d’ailleurs très tôt cherché à combattre en faisant appel à des préparateurs mentaux dès son plus jeune âge. Il ne s’est, du reste, jamais complu dedans ou cherché à en faire une excuse inconsciente à un éventuel échec. Son mérite est de n’avoir jamais lâché son rêve, même au plus fort de la tempête. Maintenant, dire qu’il a enfin trouvé l’apaisement serait, aussi, précipité. Car le présent article aurait pu être écrit pas mal de fois dans sa carrière, dans des moments d’accalmie qui ont souvent, trop souvent, finis par être suivis d’un nouveau coup de grisou. Parfois plus violent que le précédent.

C’est le problème des volcans. Ils peuvent se réveiller à tout moment. Corentin Moutet a toujours eu le problème des gens surdoués mais un peu écorchés, cette sensibilité à fleur de peau qui les rend perméables à tous les questionnements existentiels. Il y a en lui une forme de dualité qui confine presque à la cyclothymie, celle du bon et du mauvais génie, une grande force dans sa fragilité, un manque de confiance parfois noyé dans une façade d’arrogance, tout à la fois capable de répéter son goût pour les ambiances hostiles et de sortir d’un match au moindre pet de mouche en tribunes. Sa motivation est forcément fluctuante au gré de ces atermoiements.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes, au sortir d’une crise vivace, qu’il ait gagné à Rome en l’espace de quatre jours trois fois plus de matches dans un Masters 1 000 sur terre battue que durant toute sa carrière, lui qui avait seulement passé un tour à Rome (déjà) dans cette catégorie de tournois, l’an dernier, face à Roman Safiullin. Tout un Roman, pour le coup. Bien sûr, le voir poursuivre l’aventure face au rock Jack Draper, l’un des tout meilleurs joueurs du monde actuellement, serait une sacrée surprise, surtout après avoir livré une telle débauche d’énergie pour en arriver là. Mais avec ce “Coco” là, on n’est jamais complètement au bout de notre étonnement.



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